Les TAP : une opportunité pour les bibliothèques françaises ?
24 mars 2014
Par décret du 26 janvier 2013, le ministère français de l’éducation nationale a modifié les rythmes scolaires. En maternelle et primaire, les 24 heures de cours doivent être réparties sur quatre jours et demi. Les trois heures dégagées deviennent des Temps d’Activités Périscolaires (TAP) qui visent à favoriser l’accès de tous les enfants aux pratiques culturelles, artistiques et sportives. Ces activités de détente ou de soutien sont à la charge des communes. 17 % d’entre elles ont mis en place la réforme à la rentrée 2013. Les autres, prudentes ou dubitatives, le feront à la rentrée 2014. Pour animer ces ateliers, les communes embauchent des animateurs, font appel à leurs agents, ATSEM et bibliothécaires, et aux associations locales. Suite à un inquiétant témoignage de l’une d’entre elles, des bibliothécaires – femmes – ont parlé de leur première expérience d’implication dans les TAP.
Qui anime les TAP bibliothèque ?
- des employés en contrat aidé, petites mains des bibliothécaires, promus animateurs lecture.
- des bibliothécaires jeunesse, volontaires ou non.
- des agents d’autres sections (adulte, multimédia, musique) souvent réquisitionnés d’office sans tenir compte de leurs capacités pédagogiques.
- des animateurs pour lesquels le personnel de la bibliothèque prépare des caisses.
Que proposent-ils ?
- ce qu’ils savent faire : lire une histoire, passer un film, présenter des livres
- ce qu’ils peuvent faire compte tenu du public (taille du groupe, niveau, disponibilité, civilité) : des jeux, des coloriages.
- ce qu’ils ont inventé spécifiquement pour les TAP parce qu’ils ont des compétences artistiques ou musicales qu’ils pensent pouvoir mettre à profit dans le cadre de ces activités.
Qui participe ?
- Des enfants qui ont choisi l’activité bibliothèque. Ils viennent à l’activité comme ils se seraient inscrits à un club à la bibliothèque. Globalement, ils forment un public acquis.
- Des enfants qui n’ont pas choisi. Ils tournent dans les différents ateliers dont l’un est animé par la bibliothèque. Certains enfants sont affectés à l’atelier bibliothèque parce que les autres sont complets ce jour là.
Où ont lieu les TAP bibliothèque ?
- A l’école avec les problèmes inhérents à l’utilisation des classes de l’école : livres à transporter, manque de place et d’espaces de rangement, cohabitation avec l’enseignant qui prépare sa classe, etc.
- A la bibliothèque sur des heures prises sur celles des accueils de classe, sur des heures d’ouverture au public, ou du temps de travail interne.
A quel moment ont-ils lieu ?
- Après la pause méridienne et avant la reprise des cours de l’après-midi. Dans ce créneau horaire, il semble que les enfants soient attentifs et détendus.
- En deuxième partie de l’après-midi. Les enfants sont fatigués et plus enclins à bouger qu’à écouter.
Combien de temps durent-ils ?
La répartition hebdomadaire varie d’une commune à l’autre. 45 minutes 4 fois par semaine ; 3 fois une heure ; 2 fois une heure et demie. Il y a unanimité pour dire qu’une heure est le temps minimum si l’activité a lieu à l’école. Disposer d’une heure et demie, permet d’envisager un accueil à la bibliothèque.
Au regard des conditions matérielles et des moyens de réalisation, les retours d’expérience sont très mitigés. Si deux bibliothécaires pensent que c’est une réussite (les enfants sont calmes et elles font ce qu’elles ont prévu), beaucoup ont l’impression de faire du copier-coller de leurs accueils de classe. D’autres disent faire de la garderie. « Je ne suis ni payée ni formée pour animer des récréations », dit une professionnelle. « Ce n’est pas ma mission », dit une autre.
Rejeter d’emblée la notion de « récréation » (à ne pas confondre avec la pagaille, qu’il faut refuser), c’est oublier que la bibliothèque, qui officie aussi sur le temps des loisirs, offre du divertissement autant qu’elle est un vecteur du savoir et de la lecture. Et si justement on se calait sur cette double mission – distraction et formation – pour différencier les interventions auprès des élèves selon qu’ils soient en groupes de classe ou en ateliers périscolaires. Cela permettrait de clarifier les offres et de les faire évoluer :
1. Lecture partagée dans les accueils de classe
Dans les accueils de classes avec présence et partenariat de l’enseignant, on arrêterait le service « épicerie » où chaque élève emprunte un livre, avec toutes les barrières corollaires (Pas d’images, tu sais lire ! Pas de BD ! Pas de livres animés, c’est trop fragile !) sans que l’on sache ce qu’il a lu ni ce qu’il en a pensé. Comme quelques sections jeunesse ont eu le courage de le faire, on reporterait ce service de distribution aux heures d’ouverture du public. Le temps libéré pourrait être utilisé pour les animations périscolaires.
Aux enseignants de maternelle et de primaire, on offrirait des projets structurés et ouvreurs d’appétit ayant pour fondement la lecture partagée. Le (la) bibliothécaire choisit un petit lot de livres – reliés par l’origine (édition), les héros, un thème -, les présente, les prête à la classe. Charge à l’enseignant(e) de lire, faire lire, faire circuler les livres dans les familles, de créer, rebondir, discuter. Quand on répartit ainsi les responsabilités et qu’on limite l’offre de documents à une douzaine de livres par classe, c’est à la fois peu et suffisant. C’est suffisant pour se constituer un capital lecture. « Après 3 années de voyage-lecture, mes élèves arrivent au CP avec 40 albums dans les yeux et sur les lèvres ». Mais c’est peu au regard de ce que possède la bibliothèque. Si la famille ne fréquente pas l’établissement, les enfants passeront à côté d’œuvres qui ne sont pas promues dans les accueils de classe.
2. Découverte culturelle dans les TAP
Les TAP deviennent alors une occasion unique de faire découvrir aux enfants d’autres documents du secteur jeunesse, mais pas seulement, qui ne sont habituellement pas mis en avant avec les classes : livres animés, documentaires atypiques, beaux livres (land art, objets insolites, livres d’art), BD et mangas, albums-CD, CD de musique, films d’animation, supports numériques, livres d’activité, jeux. Ayant pu manipuler ces supports, ils sauront que la bibliothèque est une mine pour en découvrir d’autres… En présentant ces ouvrages dans les TAP, on fera valoir l’aspect divertissement de la bibliothèque. On améliorera son image beaucoup trop scolaire ou utilitaire. Le travail de l’intervenant consistera pendant les ateliers en une présence active de co-découverte et en amont en un travail de repérage dans la production des publications adéquates. C’est là que les BDP, dont certaines s’interrogent sur leur rôle dans la réforme, pourraient aider les petites structures : constituer des fonds spécifiques, les mettre en valeur et les prêter.
Appliquant aux bibliothèques l’analyse de Robin Renuchi sur le théâtre, on aurait ainsi deux modes différents et complémentaires de rapport à l’école.
Sur le temps périscolaire : un service de diffusion de produits culturels les plus variés possibles auprès de tous les enfants et pas seulement de ceux qui viennent en famille à la bibliothèque.
Sur le temps de classe et avec l’enseignant : des infusions littéraires, qu’il y a urgence à organiser, sinon, y aura-t-il à terme encore un public pour la littérature ?
La réforme des rythmes scolaires en France est ou apparait pour beaucoup de bibliothèques comme une charge. Elle peut devenir une chance de revitalisation et une occasion de rayonnement. Aux responsables d’ouvrir avec leurs équipes le chantier de rénovation des liens entre l’école et la bibliothèque en se rappelant que les scolaires sont d’abord des enfants, des enfants qui grandiront et qui, adultes, continueront à fréquenter les bibliothèques si et seulement si ils en ont conservé une image positive.
Véronique Marie Lombard (printemps 2014)
P.-S. : A noter que selon le décret du 26/01/2013 sur les rythmes scolaires, les mairies ne sont pas tenues de prendre en charge les élèves jusqu’à 16h30 ni même d’organiser des activités périscolaires.